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20 février 2014

J'ai lu ce matin "la dent tombée"

                                                                                                                                                      Montaigne

Hudibras,_1859_-_Plate_-_Montaigne

 

La mort est l'un des grands sujets sur lesquels Montaigne médite et auxquels il ne cesse jamais de revenir. Les Essais sont aussi une préparation à la mort, depuis le chapitre "Que philosopher c'est apprendre à mourir", au début du premier livre, jusqu'à la fin du troisième livre, au chapitre "De la physionomie", où Montaigne loue l'attitude stoïque des paysans, exposés aux ravages des guerres et de la peste, et aussi sages, tranquilles que Socrate au moment de boire la ciguë, et au chapitre"De l'expérience"

"Dieu fait grâce, à qui il soustrait la vie par le menu. C'est le suel bénéfice de la vieillesse. La dernière mort en sera d'autant moins pleine et nuisible: elle ne tuera plus qu'un demi, ou un quart d'homme. Voilà une dent qui me vient choir, sans douleur, sans effort: c'était le terme naturel de sa durée. Et cette partie de mon être, et plusieurs autres, sont déjà mortes, autres demi-mortes, des plus actives, et qui tenaient le premier rang pendant la vigueur de mon âge. C'est ainsi que je fonds, et échappe à moi" (III,13,1716-1717).

On ne peut pas essayer la mort, qui n'admet qu'une fois, mais Montaigne profite de toute expérience qui peut lui en donner le pressentiment, par exemple on en a parlé une chute de cheval, suivie d'un évanouissement qui lui a paru une mort douce, paisible. Ici la chute d'une dent donne lieu à une petite fable sur la mort. Vieillir offre un avantage: c'est que l'on ne mourra pas d'un seul coup, mais peu à peu, bout par bout. Si bien que la "dernière mort", comme il l'appelle, ne devrait pas être aussi tranchante que si elle était advenue au cours de la jeunesse et dans la fleur de l'âge. La dent qui tombe affliction banale, non catastrophique, que Montaigne a dû connaître devient un indice du vieillissement et une anticipation de la mort. Il la compare à d'autres défaillances qui affectent son corps, dont l'une touche, on le comprend, à son ardeur virile. La dent et le sexe, Montaigne les associe avant Freud comme signes de puissance, ou d'impuissance quand ils manquent à l'appel.

"Quelle bêtise sera-ce à mon entendement, de sentir le saut de cette chute, déjà si avancée, comme si elle était entière ? Je ne l'espère pas" (1717). La fin du passage est pourtant ambiguë: ce serait bête de ressentir la dernière mort, celle qui, m'emportera plus qu'un reste d'homme, comme si elle était entière. Montaigne espère que cela ne lui arrivera pas. Mais en est-il convaincu ? Il s'interroge: poser la question, c'est reconnaître qu'elle se pose. On a beau avoir perdu une dent et constaté d'autres faiblesses de son corps, la dernière mort n'en sera peut-être pas moins vécue comme si elle était entière.

"La mort se mêle et confond partout à notre vie: le déclin préoccupe son heure, et s'ingère au cours de notre avancement même. J'ai des portraits de ma forme de vingt et cinq, et de trente cinq ans: je les compare avec celui d'asteure (de maintenant): Combien de fois, ce n'est plus moi: combien est mon image présente plus éloignée de celles-là, que de celle de mon trépas"(1718)

Montaigne se raisonne: son esprit fait la leçon à son imagination. Nous possèdons des photos de nous aux divers âges de la vie, nous savons que ce n'est plus nous sur ces clichés jaunis. Montaigne insiste sur la différence qu'il y a entre moi à cette heure et moi jadis. Il n'empêche que quelque chose en moi reste entier: "ce n'est plus moi", dit-il d'un ancien portrait. C'est donc qu'il reste un moi, une vie intacte, et c'est ce moi qui disparaîtra.

Antoine Compagnon "un été avec Montaigne"

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