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18 mai 2014

"La Rotisserie de la Reine Pédauque" Anatole FRANCE

Rotisserie de la Reine Pédauque                                 

Jacques TOURNEBROCHE est le fils du rôtisseur de la Reine Pédauque une auberge conviviale et réputée. Amené à prendre la succession de son père, il fera plusieurs rencontres qui scelleront son destin. Le capucin qui lui enseignera les rudiments du latin contre une bonne assiette, l’abbé GOIGNARD amoureux des lettres et de la bonne chère, bon chrétien qui sera le maître intellectuel et spirituel de Jacques, monsieur d’ASTARAC alchimiste charismatique qui essayera d’entraîner dans son sillage l’abbé et Jacques.

Anatole France abordera avec humour des thèmes tels que la doctrine chrétienne, l’occultisme, la nature humaine. La Rôtisserie de la Reine Pedauque est un roman de grande qualité. L’hermétisme, l’occultisme y sont traités avec humour et dérision. C’est la description d’un univers aujourd’hui en retrait, méconnu, qui au XXème siècle jouait encore un rôle visible. Il était difficile de séparer le sérieux du farfelus, difficile de combattre des croyances, de prendre des distances par rapport à des FULCANELLI, PAPUS, GUAITA, SAINT YVES D’ALVEDRES … des mouvements maçonniques, rosicruciens, martinistes… l’occultisme a engendré son cortège de dérives intellectuelles et sectaires. Pour comprendre ces mouvement qui ont fleuri au 19ème siècle et pour certains avant il faut lire Frances YATES et René LE FORESTIER qui font autorités en la matière.

Dans son roman Anatole France a choisi l’alchimie et nous invite à suivre « l’initiation » du jeune Jacques par un « maître » poursuiveur de salamandres et faiseur d’or. Un roman riche d’enseignements, truffé de références, écrit tout en finesse et légèreté.

 

sign_pedauque

Le roman débute ainsi :

«  J’ai dessein de rapporter les aventures singulières de ma vie. Il y en a de belles et d’étranges. En les remémorant, je doute moi-même si je n’ai pas rêvé. J’ai connu un cabaliste Gascon dont je ne puis dire qu’il était sage, car il périt malheureusement, mais qui me tint, une nuit, dans l’Ile aux Cygnes, des discours sublimes que j’ai eu le bonheur de retenir et le soin de mettre par écrit. Ces discours avaient trait à la magie et aux sciences occultes, dont on est aujourd’hui fort entêté. On ne parle que de Rose-Croix. Au reste, je ne me flatte pas de tirer grand honneur de ces révélations. Les uns diront que j’ai tout inventé et que ce n’est pas la vraie doctrine ; les autres, que je n’ai dit que ce que tout le monde savait. J’avoue que je ne suis pas très instruit dans la cabale, mon maitre ayant périt au début de mon initiation. Mais le peu que j’ai appris de son art me fait véhémentement soupçonner que tout en est illusion, abus et vanité. Il suffit d’ailleurs que la magie soit contraire à la religion pour que je la repousse de toutes mes forces. Néanmoins, je crois devoir m’expliquer sur un point de cette fausse science, pour qu’on ne m’y juge pas plus ignorant que je ne le suis. Je sais que les cabalistes pensent généralement que les Sylphes, les Salamandres, les Elfes, et les Gnomides naissent avec une âme périssable comme leur corps et qu’ils acquièrent l’immortalité par leur commerce avec les mages. Mon cabaliste enseignait au contraire que la vie éternelle n’est la partage d’aucune créature, soit terrestre, soit aérienne. J’ai suivi son sentiment sans prétendre m’en faire juge.

Il avait coutume de dire que les Elfes tuent ceux qui révèlent leurs mystères et il attribuait à la vengeance de ces esprits la mort de l’abbé COIGNARD, qui fut assassiné sur la route de Lyon. Mais je sais bien que cette mort, à jamais déplorable, eut une cause plus naturelle. Je parlerai librement des Génies de l’air et du feu. Il faut savoir courir quelques risques dans la vie, et celui des Elfes est extrêmement petit. 

J’ai recueilli avec zèle les propos de mon bon maître, M l’abbé COIGNARD, qui périt comme je viens de le dire. C’était un homme plein de science et de piété. S’il avait eu l’âme moins inquiète, il aurait égalé en vertu Mr l’abbé ROLLIN, qu’il surpassait de beaucoup par l’étendue du savoir et la profondeur de l’intelligence. Il eut du moins dans les agitations d’une vie troublée, l’avantage sur Mr ROLLIN de ne point tomber dans le jansénisme. Car la solidité de son esprit ne se laissait point ébranler par la violence des doctrines téméraires, et je puis attester devant Dieu la pureté de sa foi. Il avait une grande connaissance du monde, acquise dans la fréquentation de toutes sortes de compagnies. Cette expérience l’aurait beaucoup servi dans les histoires romaines qu’il eût sans doute composées, à l’exemple de Mr ROLLIN, si le loisir et le temps ne lui eussent fait défaut, et si la vie eût été mieux assortie à son génie. Ce que je rapporterai d’un si excellent homme fera l’ornement de ces mémoires. Et comme AULU-GELLE, qui conféra les plus beaux endroits des philosophes en ses Nuits Antiques, comme APULEE, qui mit dans sa Métamorphose les meilleures fables des Grecs, je me donne un travail d’abeille, et je veux recueillir un miel exquis. Je ne saurais néanmoins me flatter au point de me croire l’émule de ces deux grands auteurs, puisque c’est uniquement dans les propres souvenirs de ma vie et non dans d’abondantes lectures, que je puise toutes mes richesses. Ce que je fournis de mon propre fonds c’est la bonne foi. Si jamais quelque curieux lit mes mémoires, il reconnaîtra qu’une âme candide pouvait seule d’exprimer dans un langage si simple et si uni. J’ai toujours passé pour très naïf dans les compagnies où j’ai vécu. Cet écrit ne peut que continuer cette opinion après ma mort. »

Quelques passages tirés du roman :

« Maître Léonard dit l’abbé, la philosophie induit l’âme à la clémence. Pour ma part, j’absous volontiers les fripons, les coquins et tous les misérables. Et même je ne garde pas rancune aux gens de bien quoiqu’il ait beaucoup d’insolence dans leur cas. Et si comme moi Maître Léonard, vous aviez fréquenté les personnes respectables, vous sauriez qu’elles ne valent pas mieux que les autres et qu’elles sont d’un commerce souvent agréable. Je me suis assis à la 3ème table de Monseigneur l’Evêque de SEEZ et deux serviteurs vêtus de noir d’y tenait à mon côté : la Contrainte et l’Ennui. »

« Je plains mon fils, les hommes ignorants que l’oisiveté jette dans la débauche. Ils mènent une vie misérable. Qu’est-ce qu’une femme auprès d’un papyrus alexandrin ? Comparez s’il vous plaît, cette bibliothèque très noble au Cabaret du Petit Bacchus et l’entretien de ce précieux manuscrit aux caresses que l’on fait aux filles sous la tonnelle et dites-moi mon fils, de quel côté se trouve le véritable contentement » ?

« Un jeu de cartes, monsieur est un livre d’aventure de l’espèce qu’on nomme roman, et il a sur les autres livres de ce genre cet avantage singulier qu’on le fait en même temps qu’on le lit, et qu’il n’est pas besoin d’esprit pour le faire, ni de savoir ses lettres pour le lire. C’est un ouvrage merveilleux encore en ce qu’il offre un sens régulier et nouveau chaque fois qu’on a brouillé les pages. Il est d’un tel artifice qu’on ne saurait assez l’admirer, car, de principes mathématiques il tire mille et mille combinaisons curieuses et tant de rapports singuliers, qu’on a pu croire à la vérité, qu’on y découvrit les secrets des cœurs, le mystère des destinées et les arcanes de l’avenir. Ce que j’en dit s’applique surtout au Tarot des Bohémiens, qui est le plus excellent des jeux, mais peut s’étendre au jeu de Piquet ».  Ainsi parlait Mr d’Anquetil joueur et séducteur.

« Dans ma verte jeunesse, je croyais que l’animal humain était surtout enclin à la conjonction des sexes. J’en jugeais par moi. Mais à la considération en masse, nous voyons que les hommes sont plus intéressés encore à conserver la vie qu’à la donner. C’est la faim qui les gouverne, au reste comme il est inutile d’en disputer ici, je dirai, se l’on veut, que la vie des mortels à deux pôles, la faim et l’amour. Et c’est ici qu’il faut ouvrir l’oreille et l’âme ! Ces créatures féroces, qui ne sont tendues qu’à s’entredévorer ou à s’entr’embrasser, vient ensemble, soumises à des lois qui les gênent dans la satisfaction de cette double et fondamentale concupiscence. Elle leur interdit de prendre le bien d’autrui par force ou par ruse, ce qui est une contrainte insupportable, et de jouir de toutes les femmes, en dépit de la mutuelle envie qu’ils en éprouvent, surtout s’ils ne les ont pas encore possédées, car la curiosité excite le désir plus encore que le souvenir du plaisir ». Paroles de l’abbé Jérôme COIGNARD.

Avant de mourir l’abbé dira à Jacques d’être avant tout simple et humble.

 

anatole-franceAnatole France

 

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