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  • Je vous propose mes diverses lectures sur des thématiques étendues : littérature, philosophie, histoire, poésie, à partir de 2015 également politique, sociologie, et des réflexions sur des thèmes d'actualité.
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22 décembre 2014

Correspondance de Stendhal

 

jeune-stdhPortrait de Stendhal au physionotrace par Quenedey. Collection particulière.

 

     

Je termine cette année 2014 riche en lectures et enseignements par Stendhal et tout comme pour Flaubert je vous propose une lettre pleine de sages conseils, et d'amour  qu'il adresse à Pauline sa sœur . Bonne et heureuse année 2015.   

Stendhal est l’auteur d’une correspondance énorme, sept cent trente-trois lettres recueillies entre 1800 et 1821, puis de nombreuses autres ensuite. Avant de vous proposer la lecture d’une lettre de conseils forts judicieux à Pauline,  je vous livre ce que Paul Léautaud a écrit quelques années après la parution de deux volumes de la correspondance inédite de Stendhal.

« Après trente-cinq ans, je n’ai pas épuisé le plaisir de cette lecture : fonds, forme, naturel, esprit, abandon, indépendance du jugement, mépris de tout ce qui est petit, bas, moral, soucieux du qu’en-dira-t-on…Toutes les éditions, même plus complètes, qu’on a pu faire ces dernières années de cette correspondance sont pour moi sans intérêt. Ce sont ces deux volumes, que je lus quand j’étais un jeune homme, auxquels je dus sur-le-champ un si vif et si profond plaisir, qui comptent seuls pour moi. C’est là un de ces livres que je voudrais être seul à connaître, que je déplore de savoir à la portée de n’importe quel sot ou insensensible… C’est un enfantillage, et pourtant je l’envisage quelque fois : la prière qu’on mette dans mon cercueil, à ma mort, ces deux volumes dont pas une ligne a perdu sa saveur pour moi. »

portrait_zenaide_beyle

       1.-A  Pauline Beyle Paris, 18 novembre an8. (9 mars 1800).

Je ne me reconnais plus, ma chère Pauline, lorsque je pense que j’ai pu rester cinq mois sans t’écrire. Il y a déjà quelque temps que j’y pense, mais la variété de mes occupations m’a toujours empêché de satisfaire mon désir. D’abord je veux que tu m’écrives tous les huit jours sans faute, sans cela, je te gronde ; ensuite je veux que tu ne montres tes lettres ni les miennes à personne. Je n’aime pas, quand j’écris de cœur, être gêné. Tu me diras comment va le piano, si tu apprends à danser. As –tu dansé cet hiver ? Je pense que oui. Apprends-tu à dessiner ? Le diable qui se mêle de mes affaires m’empêche d’apprendre depuis que je suis ici. J’apprends à danser d’un danseur de l’Opéra ; son genre ne ressemble en rien à celui de Beler ; comme celui que l’on m’enseigne est le bon et que comme tel il parviendra tôt ou tard en province, je te conseille de t’y préparer en pliant beaucoup dans tous tes pas et en exerçant particulièrement le cou-de-pied.

Je danse avec Adèle Rebuffel qui, quoiqu’âgée de onze ans seulement, est pleine de talents et d’esprit. Une des choses qui a le plus contribué à lui donner de l’un et de l’autre, ce sont ses lectures multipliées ; je désirerais que tu pris la même voie, car je suis convaincu qu’elle est la seule bonne. Tes lectures, si elles sont choisies, t’intéresseront bientôt jusqu’à l’adoration et elles t’introduiront à la vraie philosophie, source inépuisable de jouissances suprêmes, c’est elle qui nous donne la force de l’âme et la capacité nécessaire pour sentir et adorer le génie. Avec elle tout s’aplanit, les difficultés disparaissent, l’âme est étendue, elle conçoit et aime davantage. Mais je te parle un langage inconnu ; je souhaiterais que tu pus le sentir. Je te conseille de prier le grand-père de demander à Chalvet Le Cours de littérature de La Harpe qu’il doit avoir et de le lire ; cet ouvrage t’ennuiera peut-être un peu, mais il te dégrossira et je te promets que tu en seras bien récompensée dans la suite. Je te conseille aussi de chercher mes cahiers de littérature pour y lire les mêmes choses que tu liras dans La Harpe et en même temps. Cette étude est indispensable ; tu le verras quand tu iras dans les sociétés qui méritent ce nom. Je désirerais que tu pus aller quelquefois au spectacle, à des pièces choisies persuadé que je suis que rien ne forme plus le goût. Je voudrais surtout que tu vis les bons opéras comiques ; cela te ferait du goût pour la musique et te ferait un plaisir infini. Mais rappelle-toi bien que tu ne pourras jamais y aller qu’avec papa. S’il pouvait sentir mes raisons, cela me ferait bien plaisir. Je lui en parlerai quand j’irai à Grenoble. Je te conseille de tâcher de lire la Vie des Grand Hommes de la Grèce, de Plutarque ; tu verras quand tu seras plus avancée en littérature que c’est cette lecture qui a formé le caractère de l’homme qui a jamais la plus belle âme et le plus grand génie, Jean-Jacques Rousseau. Tu pourras lire Racine et les tragédies de Voltaire, si on te le permet. Prie mon grand-père de te lire Zadig de la même manière qu’il me le lut il y a deux ans. Je croirais bon aussi que tu lus le siècle de Louis XIV, si on le veut. Tu me diras : voilà bien des lectures. Mais ma chère amie, c’est en lisant les ouvrages pensés qu’on apprend à penser et à sentir à son tour. Dans tous les cas, lis La Harpe. Adieu. Je ne peux plus écrire sur ce papier. J’ai mieux aimé le tenter ce soir que de ne pas le faire de quelques jours."

 

A la citoyenne Pauline Beyle

Grande rue, n°60

A Grenoble, dt de l’Isère

signature_henri_beyle_z

 

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