"Une morale pour les mortels l'éthique de Platon et d'Aristote" Anne MERKER
Anne Merker est agrégée de philosophie, maîtresse de conférences en philosophie et ancienne doyenne de la Faculté de philosophie de l'université de Strasbourg.
Une morale pour le mortels conclusion l amitie
Je viens de terminer ce livre et je peux affirmer qu'il m'a été "utile" intérieurement. L'étude à travers les oeuvres de Platon et Aristote du statut de mortel et de la condition humaine est remarquable. Le bien, le beau, la vertu, le plaisir, l'utilité,la pensée, ...sont décortiqués. Ci-dessous les grands thèmes du livre :
"il faut" "Falloir" quelque chose ou quelqu'un manque, nous sommes en besoin. Avec la problématique du manque, la relation à autrui n'est pas celle qui nous lie à autrui, mais à ce qui nous manque. Comment faut-il vivre pour bien vivre ? une vie mortelle n'est pas seulement une vie qui prendra fin à terme, comme un point clôt un segment auquel il appartient qu'à son extrémité. La mort n'est pas seulement au bout elle est durant la vie, elle est en sein, dès le début et même: avant elle. De cette présence résulte une moralité spécifique de vie: la mortalité. La faculté désirante est à la fois et en même temps faculté de fuir, et faculté de poursuivre et toute poursuite est en même temps une sorte de fuite et inversement.
Le bon, le bien et le Bien.L'analyse du désir révélera qu'il pour objet le bien par nature. Ce qui revient à dire que l'âme humaine désire toujours et par nature le beau moral, de manière indéfectible. Ainsi dire que le désir a pour objet le bien n'a rien d'un angélisme, car le bien n'est pas une valeur morale. Le bien n'est rien d'autre que le bon, le mal n'est rien d'autre que le mauvais. Ils ne sont pas "le Bien et le Mal" si l'on entend par là intrinsèquement des valeurs morales.
On peut désirer certes la prolongation voire l'éternité de l'existence en croyant qu'elle est en soi bonne, comme simple existence sans perfection et sans excellence, comme le croit la foule qui prend de nombreuses choses pour des biens pour elles-mêmes quand elles ne le sont pas. Mais la vérité est qu'on désire l'éternité d'existence qu'en tant qu'elle est éternité d'une existence bonne, c'est-à-dire appropriation à soi du bon. Le bien est d'abord ce qui a une certaine puissance car il est intrinsèquement perfection et autarcie, ce qui fait de lui une fin qui a la puissance d'attirer tout être imparfait et en défaut.
Le bien et le beau le bon est cause, il a donc des effets. Son effet final c'est de rendre complet, comblé, de mettre en bon état, de rendre bon, c'est par là qu'il est désirable.
Le problème du plaisir.Le plaisir pose problème. Car par un de ses aspects il présente l'allura du bon, tout en se révèlant dans de nombreuses occasions mauvais c'est-à-dire nuisible. Ainsi le désir en sa simplicité originelle, fait de manque et de tension, né de pauvreté et d'expédient se trouve engagé dans le labyrinthe de la complexité dont l'humanité de l'être humaine est constituée.
L'hégémonie de la pensée.L'hégémonie est certes affaire de supériorité et de domination. Domination de la raison sur les autres impulsions et désirs, sur les autres "instincts" pour parler comme Nietzsche, qui grouillent dans le sein obscur et profondément contradictoire de l'âme et du corps humain. Son accouchement est violent.
De la philautie à la philosophie.La philautie est une philia qu'on éprouve envers soi-même (un désir un amour, un attachement ou encore une amitié tournée vers soi-même). Mais c'est en réalité tout désir qui a une structure philautique. Tout attachement humain, toute relation stable entre les êtres humains, aussi bien l'amitié qu'une autre sont marquées par la chréia (le besoin) et l'endeia (le manque). La communauté des humains est elle-même fondée sur la chréia, source originelle de toute réunion d'haumain, qu'i s'agisse de la famille ou de son extension en une cité.
L'emportement et l'impulsion du désir sont à pied d'oeuvre dès l'enfance, non la raison. Ils peuvent tordre la faculté principielle qu'est l'intellect, au moment ou celui-ci se trouve dans la tendreté et la malléabilité propres aux commencements. Mais qu'elle soit tordue ou droite, la raison aura l'hégémonie, quelle que soit sa qualité.
Le simple acte courageux est celui qui ne procède pas d'une intention courageuse, le simple acte juste est celui qui ne procède pas d'une intention injuste.
"Nul n'est méchant de plein gré" écrit Platon. Si la faute est un manquement à ce qu'il faut faire, c'est parce qu'elle est en elle-même, comme le disent le latin et le français, défaut et manque, elle repose sur du faux qui fait se tromper ce qui est fauter. Ce dé-faut qui fait fauter, la reflexion de Palton l'a révèlé comme manque, manque de connaissance a-gnosia, ou manque de force a-krasia, toute ramenées à un manque d'apprentissage ou d'éducation a-mathia.
Le fondement du paradoxe socratique et ce qui lui confère sa solidité, c'est en réalité la cohésion absolue entre le bon (l'intéret) de l'individu humain et le beau (la vertu, la justice), et pour sa force négative, entre le mal (ce qui nuit et endommage) et le laid (le vice, l'injustice). Dès qu'on considère le désir au sein de l'homme juste, le ressort est toujours tendu vers ce qui est juste, puisqu'il l'est vers ce qui est bénéfique, et que le savoir de ce qui est juste consiste notamment à connaître sa relation au bénéfique.
En conséquence, il ne peut appartenir à l'homme juste d'agir injustement de plein gré. L'homme ivre agit dans l'ignorance (ou en ingnorant), mais non par ignorance; il agit par son ivresse, qui est la cause de l'acte. Le désir n'a de sens que par rapport à la fin, la fin est la première des causes, et la cause motrice est mue par elle-même. Tout part de la fin. Aristote remarque qu'il ne suffit pas qu'un acte soit fait par ignorance pour qu'il soit contre gré, il faut encore qu'il y ait regret et affliction. Dans la suite du Livre IX des Lois, chaque fois que Platon parlera d'un acte injuste de plein gré ou contre gré, c'est en tant qu'il cause un dommage non en tant qu'il est injuste.
Les notions de peine, punition et châtiment apparaissent a posteriori. La peine ou punition est un paiement à autrui, le châtiment est un amendement contraint de la personne. Enfin apparaît également la notion de libre arbitre.
Les Grecs ont identifié la présence d'un sentiment particulier que "Protogoras" est allé jusqu'à placer comme condition de possibilité de toute cité et de toute vie commune c'est l'audôs (la pudeur). Elle nous procure de la honte à faire certaines choses, elle nous retient de faire certaines actions, elle va jusqu'à installer un sentiment de respect envers autrui.