"L'Odyssée" Homère
Je commencerai ce billet sur l’Odyssée par ces très beaux vers de Joachim du Bellay qui résume à merveille le destin épique d’Ulysse narré par Homère avec virtuosité : « Heureux qui comme Ulysse est revenu plein d’usage et raison vivre entre les siens et le reste de son âge. »
Nous verrons que ce n’est pas aussi idyllique.
Ulysse, éloigné de son épouse Pénélope, de son fils Télémaque après la guerre de Troyes ne peut revenir chez lui. Il va subir une série d’épreuves, d’ « aventures » tandis que sa famille esseulée « souffrira » de tous ceux qui veulent le déposséder et prendre Pénélope comme femme. La réalité n’est pas aussi tranchée que cela.
Plus pacifique que l’Iliade, le récit d’aventures est prenant, toujours avec les mortels et les Dieux qui influent sur les devenirs. L’Odyssée peut être lue de plusieurs manières et selon les traductions, celle de Jacottet est poétique, celle de Bérard plus technique.
L’Odyssée est le besoin d’un retour après une vie extraordinaire. Les aventures d’Ulysse débutent au chant IX. Notons qu’il faut attendre l’Odyssée pour évoquer le cheval de Troie. Ulysse doit donc rentrer chez lui, l’héroïsme consiste à revenir. Par ailleurs, la responsabilité humaine est posée.
Le retour à Ithaque n’est qu’une étape, la vie est toujours en mouvement. Deux questions se posent : qu’est-ce qu’une vie normale ? Qu’est-ce qu’une société ?
Entendement et sensibilité sont les deux caractéristiques d’Ulysse. Il raisonne, combat les dangers, mais il veut profiter de tout, à titre d’exemple, au passage du chant des sirènes, il préfère se faire attacher mais écouter.
Ulysse rencontre des femmes qui auront un rôle important, en plus de Pénélope bien sûr. Calypso qui fera tout pour le retenir, Circée qui lui permettra de partir alors que lui a du mal à la quitter.
Parmi ses multiples aventures, il rencontre Charybde et Scylla deux monstres sans personnalisation, symboles des dangers multiples et imprévus des voyageurs mais aussi des humains en général.
Ulysse devra également descendre dans l’Hadès, royaume des morts. Il n’a pas le choix. Les morts qu’il a connu vivants et qu’il rencontre ont changé (Achille par exemple) d’autres non (Héraclès par exemple).
Dans l’Iliade, les Dieux sont surhumains, dans l’Odyssée, nous sommes dans le merveilleux, un merveilleux dont le seul témoin est ULYSSE.
Le retour à Ithaque, c’est la fin de 41 jours d’aventures, c’est la reprise du pouvoir par ULYSSE, un retour au réel. L’Odyssée est un poème politique. Giono émet l’hypothèse que l’Odyssée est une affabulation.
Revenons sur la personnalité de Pénélope : elle tisse un linceul pour l’Aerte qu’elle défait chaque nuit. C’est une métaphore, elle immobilise le temps. Ce n’est pas la femme vertueuse et patiente qui attend le retour de son époux. Elle n’est pas insensible aux charmes de certains prétendants. Elle met du temps à reconnaître ULYSSE, c’est uniquement lors de la scène du lit que ce sera le cas, le début d’un retour à la normalité.
« qui donc a déplacé mon lit ? C’eut été malaisé
Même au plus habile homme, à moins qu’un dieu vînt à son aide,
Qui l’eût facilement transporté en un autre lieu…
Mais des mortels, aucun, et fût-il vigoureux,
N’eût pu le déplacer. Car il est un secret
Dans la structure de ce lit ; je l’ai bâti tout seul,
Dans la cour s’élevait un rejet d’olivier feuillu
Dru, verdoyant, aussi épais qu’une colonne.
Je bâtis notre chambre autour de lui,
De pierres denses, je la couvris d’un bon toit,
La fermai d’une porte aux vantaux bien rejoints.
Ensuite, je coupai la couronne de l’olivier
Et, en taillant le tronc à la racine, avec le glaive
Je le planai savamment et l’équarris au cordeau
Pour faire un pied de lit ; je le perçai à la tarrière.
Après cela, pour l’achever, je polis le reste du lit
En l’incrustant d’argent, d’ivoire et d’or ;
Je tendis les sangles de cuir teintes de pourpre.
Voilà le secret dont je te parlais ; mais je ne sais
Si mon lit est encore en place, ô femme, ou si déjà
Un autre, pour le déplacer, a coupé la racine. »
A ces mots, ses genoux et son cœur défaillirent
Elle reconnaissait les signes décrits par ULYSSE ;
Toute en pleurs, elle vint à lui, jeta ses bras
Au cou d’ULYSSE, baisa son visage et lui dit :
« Ne m’en veux pas, ULYSSE, toi qui fus toujours le plus
Sensé des hommes :les dieux nous ont élus pour le malheur,
Nous enviant la douceur de rester auprès l’un de l’autre
Pour goûter le jeunesse et atteindre le seuil de l’âge »
Le but de l’Odyssée est de restaurer le pouvoir d’ULYSSE. Pour cela, il doit sortir de sa vie héroïque, il doit renoncer à sa vie surhumaine antérieure, c’est la fin de l’épopée. La société se divise en clans à Ithaque, ULYSSE ne pourra plus être le souverain. Il devra partager son pouvoir. La grande leçon de l’Odyssée est le début du politique grec.