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  • Je vous propose mes diverses lectures sur des thématiques étendues : littérature, philosophie, histoire, poésie, à partir de 2015 également politique, sociologie, et des réflexions sur des thèmes d'actualité.
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14 mars 2020

"Tristes tropiques" Claude Lévi-Strauss

 

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Claude LEVI STRAUSS choisit après l’obtention d’une agrégation de philosophie, le métier d'ethnologue. Il choisit une voie très particulière alors que les perspectives d’une carrière confortable dans l’enseignement était toute tracée.

« L’enseignement philosophique devenait comparable à celui de l’histoire de l’art qui proclamait le gothique nécessairement supérieur au roman, et dans l’ordre du premier, le flamboyant plus parfait que le primitif, mais où personne ne se demanderait ce qui est beau et ce qui ne l’est pas. »

Il devient donc explorateur, voyageur, chercheur, et demeure philosophe.

Pourtant il disait : « Je hais les voyages et les explorateurs »

L’ethnographie, une discipline difficile à définir qu’il essaiera de décrire avec grande précision.

« Dans cette antinomie qui s’oppose, d’une part le métier de l’autre une entreprise ambiguë qui oscille entre la mission et le refuge, participe toujours l’une de l’autre tout en étant plutôt l’une ou plutôt l’autre, l’ethnographie occupe certes une place de choix. C’est la forme la plus extrême qui se puisse concevoir du second terme. »

« La connaissance ne repose pas sur une renonciation ou sur un troc, mais consiste dans une sélection des aspects vrais, c’est-à-dire ceux qui coïncident avec les propriétés de ma pensée. Non point comme le prétendaient les néo-kantiens, parce que celle-ci a exercé sur les choses une inévitable contrainte, mais bien parce que ma pensée est elle-même objet. Etant « de ce monde », elle participe de la même nature que lui. »

 L’ethnographe voyage, mais qu’est-ce qu’un voyage ?

« On conçoit généralement les voyages comme un déplacement dans l’espace. C’est peu. Un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale. Chaque impression n’est définissable qu’en la rapportant solidairement à ces trois axes, et comme l’espace possède à lui seul trois dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage une représentation adéquate. »

L’ethnographe est en quête de vérité, il va découvrir des lieux auxquels il n’est pas préparé, voire même qu’il ne pouvait envisager. L’observation de la réalité est un exercice difficile à retranscrire, à vivre, à accepter.

« L’écart entre l’excès de luxe et l’excès de misère fait éclater la dimension humaine.

Ce n’est pas seulement pour duper nos enfants que nous entretenons dans la croyance du père Noel : leur ferveur nous réchauffe, nous aide à nous tromper nous-même et à croire, puisqu’ils y croient, qu’un monde de générosité sans contrepartie n’est pas absolument incompatible avec la réalité. »

 La première partie du livre évoque les voyages de CLS. New York puis le Brésil et l’approche de peuplades avec leurs organisations, rites, « arts » n’ayant jamais rencontré d’autres êtres humains. Ainsi ces observations sont à mettre en perspective avec l’apparition de l’écriture, absente de ces groupes et ses conséquences.

« La beauté de New York ne tient donc pas à sa nature de ville, mais à sa transposition, pour notre œil inévitable si nous renonçons à nous raidir, de la ville au niveau d’un paysage artificiel où les principes de l’urbanisme ne jouent plus : les seules valeurs significatives étant le velouté de la lumière, la finesse des lointains, les précipices sublimes au pied des gratte-ciels et des vallées ombreuses parsemées d’automobiles multicolores, comme des fleurs. »

« Il y a trois régions : Indonésie, Nord-Est américain et pays scandinaves qui forment en quelque sorte les points trigonométriques de l’histoire précolombienne du nouveau monde.

Si l’on veut mettre en corrélation l’apparition de l’écriture avec certains traits caractéristiques de la civilisation, il faut chercher dans une autre direction. Le seul phénomène qui l’ait fidèlement accompagnée est la formation des cités et des empires, c’est-à-dire l’intégration dans un système politique d’un nombre considérable d’individus et leur hiérarchisation en classes. Telle est, en tout cas, l’évolution typique à laquelle on assiste depuis l’Egypte jusqu’à la Chine.

Si mon hypothèse est exacte, il faut admettre que la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l’asservissement. »

Cette notion de groupe avec un chef doit se définir.

« La notion de chef apparaît comme la cause du désir du groupe de se constituer comme groupe et non comme l’effet du besoin d’une autorité centrale ressenti par un groupe déjà constitué. »

Ce groupe induit déjà une contractualisation des rapports, ce qui renvoie aux philosophes du XVIIIème siècle, en particulier vers Jean-Jacques ROUSSEAU.

« On aimerait pouvoir montrer l’appui considérable que l’ethnologie contemporaine apporte aux thèses des philosophies du XVIIIème siècle. Sans doute le schéma de ROUSSEAU diffère-t-il des relations quasi contractuelles qui existent entre le chef et ses compagnons. ROUSSEAU avait en vue un phénomène tout différent, à savoir la renonciation, par les individus à leur autonomie propre au profit de la volonté générale. Il n’est reste pas moins vrai que ROUSSEAU et ses contemporains ont fait preuve d’une intuition sociologique profonde quand ils ont compris que des attitudes et des éléments culturels tels que le « contrat » et le « consentement » ne sont pas des formations secondaires comme le prétendaient leurs adversaires et particulièrement HUME, ce sont les matières premières de la vie sociale et il est impossible d’imaginer une forme d’organisation politique dans laquelle ils ne seraient pas présents » 

L’ethnographe se heurte dans ses études à des problèmes de taille, son histoire, son éducation, susceptibles de troubler ses observations, d’altérer ses conclusions, la part subjective incontournable.

« On n’échappe pas au dilemme : ou bien l’ethnographe adhère aux normes de son groupe, et les autres ne peuvent lui inspirer qu’une curiosité passagère dont la réprobation n’est jamais absente, ou bien il est capable de se livrer totalement à elles, et son objectivité reste viciée du fait qu’en le voulant, ou non, pour se donner à toutes les sociétés il s’est au moins refusé à une. Il commet donc le même péché qu’il reproche à ceux qui contestent le sens privilégié de sa vocation. »

« L’opposition entre deux attitudes de l’ethnographe : critique à domicile et conformisme au-dehors, en recouvre donc une autre à laquelle il lui est encore plus difficile d’échapper. S’il veut contribuer à une amélioration de son régime social, il doit condamner, partout où elles existent, les conditions analogues à celles qu’il combat, et il perd son objectivité et son impartialité. En retour, le détachement que lui imposent le scrupule moral et la rigueur scientifique le prévient de critiquer sa propre société, étant donné qu’il ne veut en juger aucune afin de les connaître toutes. A agir chez soi, on se prive de comprendre le reste, amis à vouloir tout comprendre on renonce à rien changer. »

Pourquoi l’occident a produit des ethnographes ?

« On découvre qu’aucune société n’est foncièrement bonne, mais aucune n’est absolument mauvaise. On pourrait prétendre que si l’occident a produit des ethnographes c’est bien qu’un puissant remord devait le tourmenter, l’obligeant à confronter son image à celle de sociétés différentes dans l’espoir qu’elles réfléchiront les mêmes tares ou l’aideront à expliquer comment les siennes se sont développées dans son sein. ROUSSEAU nous apprend que « nous devons savoir comment, après avoir anéanti tous les ordres, on peut encore découvrir les principes qui permettent d’en édifier un nouveau. »

Claude Levi STRAUSS s’est évidemment penché sur les religions, indispensable afin de penser les sociétés dans leur ensemble. Il évoque la civilisation musulmane, l’Islam, le Bouddhisme, et les Chrétiens en mettant en lumière une articulation explicative subtile.

« N’est-ce pas l’image de la civilisation musulmane qui associe les raffinements les plus rares : palais de pierres précieuses, fontaines d’eau de rose, mets recouverts de feuilles d’or, tabac à fumer mêlé de perles pilées, servant de couverture à la rusticité des mœurs et à la bigoterie qui imprègne la pensée morale et religieuse ?

Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons je retrouve en lui l’univers d’où je viens, l’Islam, c’est l’occident de l’orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. »

« Que l’occident remonte aux sources de son déchirement : ne s’interposant entre le bouddhisme et le christianisme, l’Islam nous a islamisé, quand l’occident s’est laissé entraîner par les croisades à s’opposer à lui et donc à lui ressembler, plutôt que se prêter. S’il n’avait pas existé à cette lente osmose avec le bouddhisme qui nous eût christianisés davantage, et dans un sens d’autant plus chrétien que nous serions remontés en deçà du christianisme même. C’est alors que l’occident a perdu sa chance de rester femme. »

Claude LEVI-STRAUSS nous livre en guise de conclusions une analyse profonde qui nous met en face de notre finitude, de nos limites, et ce avec une grande acuité.

 « Qu’ai-je appris d’autre en effet des maîtres que j’ai écoutés, des philosophes que j’ai lus, des sociétés que j’ai visitées, et de cette science même dont l’occident tire son orgueil, sinon des bribes de leçons qui, mises bout à bout, reconstituent la méditation du sage au pied de l’arbre ?

Tout effort pour comprendre détruit l’objet sur lequel nous nous étions attachés, au profit d’un effort qui l’abolit au profit d’un troisième et ainsi de suite jusqu’à ce que nous accédions à l’unique présence durable, qui est celle ou s’évanouit la distinction entre le sens et l’absence de sens : la même d’où nous étions partis.

Voilà 2500 ans que les hommes ont découvert et ont formulé ces vérités. Depuis, nous n’avons rien trouvé, sinon en essayant après d’autres toutes les portes de sorties, autant de démonstrations supplémentaires de la conclusion à laquelle nous aurions voulu échapper. »

« Cette grande religion du non-savoir ne se fonde pas sur notre infirmité à comprendre. Elle atteste notre aptitude, nous élève jusqu’au point où nous découvrons la vérité sous forme d’une exclusion mutuelle de l’être et du connaître.

« Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui ! »

Nous terminons ce billet par un petit texte de Fernando PESSOA. Texte plein d’humilité et de beauté.

 

"Quand viendra le printemps

Si je suis déjà mort

Les fleurs fleuriront de la même

Manière et les arbres n’en seront

Pas moins verts qu’au printemps

Dernier.

La réalité n’a pas besoin de moi."

                                                                    

 

imagesClaude Lévi-Strauss

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